lointaines sont infiniment plus lourdes. Ce qui se passe peu à peu dans les familles au sujet du nombre des enfants a bien plus d'importance à long terme que tout ce qui peut se passer au niveau politique actuel. L'opinion publique a gardé la vision d'une humanité où seules les nations développées, plus la Chine -mais la Chine, au prix de mesures plus que rigoureuses - seules ces nations développées sont parvenues à maîtriser leur équilibre démographique . Et bien cette opinion n'est pas exacte. La réalité est désormais très éloignée de cette image. Les pays pour lesquels le remplacement des générations n'est plus assuré abritent, actuellement, plus de la moitié des humains. Le plus étonnant est que ce changement s'est le plus souvent opéré en moins d'une génération. Ainsi, en Iran, le nombre d'enfants par femme était encore supérieur à 7 durant les années 1980. Il est aujourd'hui voisin de 2. La division par trois, ou même plus, du nombre des enfants correspond à un changement culturel extraordinairement rapide. Même un des pays les plus pauvres, le Bengla Desh dont on parle tant, tant il est dans une situation économique déplorable, le Bengla Desh a fait un grand pas vers l'équilibre démographique. Au Bengla Desh la fécondité a été ramenée de 6 ou 7 enfants par femme, à 3. On peut constater rétrospectivement que les prévisions des organismes internationaux qui s'occupent de ces problèmes ont le plus souvent sous-estimé ce rythme de baisse. Cette erreur quasi systématique peut s'expliquer compte tenu de l'imbrication étroite des comportements procréateurs avec l'ensemble des traits culturels et aussi, avec l'ensemble des contraintes économiques. C'est toute l'attitude à l'égard de la famille qui est en cause . On pourrait donc s'attendre à une grande stabilité. C'est bien en effet ce qui apparaît durant de longues périodes, comme si une situation durable s'était installée et qu'elle restait définitivement stable. Mais soudain, un changement radical se produit, et transforme toutes les attitudes en peu d'années. La mutation culturelle est alors totale, et de façon inattendue, elle est rapide, sans que l'on puisse définir la cause principale. En une génération, la rupture avec le passé est accomplie. La stabilité n'était en réalité qu'apparente, elle était à la merci d'un changement indépendant. Tel a pû être, par exemple, le rôle de la scolarisation des jeunes filles. Les jeunes filles n'allaient pas à l'école, elle vont à l'école maintenant, et ce qu'elles y apprennent est le plus grand argument contre une natalité galopante. La période actuelle, qui peut sembler chaotique, se dirige en fait vers une homogénéïsation des comportements procréateurs. Et cette homogénéïsation peut à son tour favoriser une meilleure cohérence des divers peuples. C'est finalement la mise en place d'une humanité que l'on peut espérer pacifiée qui peut être facilitée par ce domaine de réflexion.
Le regard d'Albert Jacquard - France Culture - du lundi au vendredi de 17 h 55 à 18 h 00 -