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Eau (Woda)

Voilà que sur ma main tombe une goutte de pluie,
répandue par le Gange et le Nil.

Elévation du givre des moustaches d'un phoque,
fruit des cruches cassées dans les villes d'Ys et Tyr.

Sur la pointe de mon index
La mer Caspienne est une mer ouverte,

et le Pacifique coule dans le lit de la Rudawa,
la même qui survola Paris en petit nuage

en mille sept cent soixante quatre
le sept mai à trois heures du matin.

La bouche n'y suffirait pour décliner
tous tes noms ondoyants, eau.

Il faudrait te trouver un nom dans toutes les langues
en prononçant ensemble toutes leurs voyelles

et se taire en même temps - au nom d'un lac,
qui n'a jamais pu obtenir un nom quelconque,

et qui n'existe point sur terre, comme au ciel
n'existe cette étoile qui s'y refléterait.

Un qui se noie, un autre t'implore en mourant
C'était il y a longtemps, et c'était hier.

Maisons tu éteignais, maisons tu emportais
comme des arbres, et forêts comme des villes.

Dans les fonts baptismaux et les bidets des putes.
Sur les langues et les linceuls.

Grignotant les rochers, allaitant l'arc-en-ciel.
Sueur et rosée des pyramides, des lilas.

Que c'est léger, tout ça, dans une goutte de pluie
Combien délicat est sur moi le toucher du monde.

Quoi - quand - où que se soit passé,
restera gravé dans l'eau de babel.

Wislawa Szymborska - De la mort sans éxagérer - Poésie Fayard - 1996 - Traduit du polonais par Piotr Kaminski - p 24 - " Extrait de Sel (Sol) - 1962 - ''

Bien sur que la place naturelle de ce billet, c'est Tiroir, layette ou trémie. Mais mais mais, comme dit la chèvre au bouc, je ne sais pas pourquoi, je le préfère dans le "moulin à prières" ... Un rapport avec la mémoire de l'eau ? Un truc d'illuminées en quelque sorte ! Le cycle de l'eau mesuré à l'aune du temps qui passe ...

J'ai eu l'idée de mettre des liens sur le texte. Grossière erreur, car, vraiment, tout bien considéré, ce serait gâcher Ma Dame Szymborska.



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